Paroles d’experts #2 : Luc Flye Sainte Marie, expert en rénovation énergétique de l’habitat.
Le mercredi 28 septembre 2022
Temps de lecture : 5 minutes

Paroles d’experts #2 : Luc Flye Sainte Marie, expert en rénovation énergétique de l’habitat.

Luc Flye Sainte Marie, nous apporte son expertise sur l’importance de la rénovation énergétique du parc immobilier de montagne.

Après une expérience professionnelle de direction commerciale dans la maintenance d’installations de chauffage, climatisation et ventilation, il décide d’entreprendre et de créer sa propre entreprise en 2008, Eneos.

Implantée en France, principalement en Savoie, Eneos intervient aussi dans les cantons de Genève et de Vaud. Bureau d’études et Architectes, l’entreprise intervient principalement sur l’immobilier de loisirs des stations en montagne auprès des copropriétés de résidence secondaires, des résidences de tourismes et d’hôtels.

Bonjour Luc ! Selon vous, pourquoi l’énergie est-elle un sujet d’actualité brûlant, et au cœur de tous les débats ?

L’énergie a toujours été un sujet important qui figure souvent comme le poste le plus élevé dans les charges immobilières annuelles en montagne. La situation actuelle nous fait prendre conscience qu’elle n’est pas inépuisable et nous sommes confrontés aux risques de ruptures. En tant qu’acteurs de la rénovation énergétique, nous sommes rassurés de voir la prise de conscience grandissante, car c’est notre principale préoccupation depuis toujours et nous souhaitons pouvoir accompagner les projets visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments.

Cette appropriation du sujet par les médias permet une prise de conscience qui est plutôt positive.

L’impact de la hausse du coût de l’énergie a touché les gens de façon massive. La projection de la facture de chauffage, des charges énergétique de sa résidence, c’est ça qui aujourd’hui remet le sujet au dessus de la pile. Aujourd’hui la question de tous les propriétaires est de savoir si l’on subit ou si l’on s’adapte.

Un des principaux problèmes énergétiques ciblé par le gouvernement, ce sont ces fameuses “passoires énergétiques”. Est ce que ça concerne beaucoup de logements sur les stations ?

Sur les stations des Alpes, celles que je connais le mieux, nous avons une majorité de constructions et de développement immobilier qui s’étale entre les années 60 et les années 2000.

Il y a donc quarante ans de construction, dont la période avant 1974-75 du premier choc pétrolier, où à l’époque l’isolation était très légère voire inexistante. Aujourd’hui ces bâtiments à plus de 2000 m d’altitude sont en béton avec peu ou pas d’isolant.

Dans les années 80, la qualité thermique s’est un peu améliorée mais ces bâtiments ont déjà eu quarante ans en 2020. Si rien n’a été fait en entretien, aujourd’hui nous constatons dans nos études et diagnostics que l’isolant a perdu ses propriétés isolantes.

D’après ce constat, les passoires énergétiques constitueraient je pense environ 70% du du stock construit en station..

Photo de Vincent Rivaud

Comment peut-on travailler sur cette notion de passoire thermique ? Est-ce vraiment important d’améliorer l’isolation des logements ?

Les bâtiments sont vivants, dans le sens où l’on sait que leurs composants comme les façades et les menuiseries doivent être remplacés au bout d’un certain nombre d’années. Le gros entretien des bâtiments est inéluctable si l’on veut garder son bâtiment pérenne et conserver la valeur de son actif immobilier.

Il faudrait profiter des travaux de gros entretien du bâtiment pour intégrer la composante énergétique et faire en sorte qu’il consomme moins.

La première priorité à donner c’est de consommer le moins d’énergie possible, c’est la “sobriété énergétique”.

L’étiquette énergétique du logement est en grande partie conditionnée par la nature de l’énergie utilisée pour le chauffe et l’eau chaude sanitaire. Tout le parc des bâtiments qui fonctionnent à l’électricité est très pénalisé par rapport à ça.

L’étiquette énergétique vient aussi influencer le prix du m², les propriétaires louent plus facilement des habitats à faible consommation et s’y retrouvent mieux dans le rapport loyer/charges.

“Nous pensons que les résidences secondaires seront elles aussi assujetties à la rénovation énergétique prochainement”.

Quel est le rapport en quantité d’énergie utilisée sur deux bâtiments de même nature mais dont l’un a été entretenu et l’autre non ?

L’une de nos premières rénovation a été réalisée à Tignes, sur un bâtiment construit dans les années 70. Sur le chauffage, l’économie réalisée est de plus de 75%.

Sans même changer la chaudière, ce sont uniquement les travaux d’enveloppe (toit, façade, menuiseries et ventilation) qui ont permis de réaliser ces 75% d’économie.

Aujourd’hui, si je suis un propriétaire particulier d’un appartement en montagne, sur quels leviers je peux agir pour réduire ma consommation énergétique ?

Il y a deux espaces liés sur lesquels vous n’avez pas le même pouvoir. Le privatif et les parties communes.

Du point de vue des parties privatives, le remplacement des menuiseries extérieures est un excellent point de départ. C’est le premier gros poste, impactant la consommation du bien et surtout le confort des occupants.

Si le chauffage se fait via l’électricité et que vous utilisez des convecteurs, il peut être intéressant d’utiliser les systèmes d’horloges connectées afin de piloter les organes de chauffe. Cela permet de réduire les intensités de chauffage en creux de journée, ou en cas d’absence de mettre l’appartement en mode hors gel. Cela permet également de lancer le système de chauffage 24h avant qu’il soit occupé, pour arriver dans un appartement chaud.

Le propriétaire, s’il veut être vigilant sur les charges peut également consulter en temps réel l’utilisation du système de chauffe à distance.

Les deux points les plus significatifs en terme d’économie d’énergie, dans le privatif, sont les menuiseries extérieures et les organes de chauffage.

Si l’on réalise des travaux à titre individuel dans une copropriété et que l’on réalise des économies d’énergie, cela profitera à tous dans le mesure où la répartition des charges est calculée majoritairement aux tantièmes sur l’ensemble de la consommation du bâtiment.

Les efforts individuels d’économie d’énergie ont un impact “dilué” sur la facture des charges du propriétaire, les compteurs individuels précis n’étant pas toujours présents.

Cela aura toutefois un effet immédiat sur le confort de vie de l’appartement.

Pour les parties communes, il faut agir en priorité sur l’isolation du bâtiment. C’est un projet qui se prépare avec l’ensemble des acteurs de la copropriété et qui s’tend sur une durée de mise en œuvre plus longue.

Si je suis propriétaire dans une copropriété et que j’aimerais faire évoluer mon bâtiment en restaurant l’enveloppe pour une meilleure isolation énergétique, quelles sont les grandes étapes ?

Comme le bâtiment est en gestion collective, cela doit s’envisager comme une gestion de projet d’équipe.

Il serait plus judicieux de commencer par présenter le sujet aux autres propriétaires, avec l’appui du syndicat de copropriété, via un forum privé par exemple. Ce temps permettra d’échanger et d’informer pour qu’au moment où le point sera proposé au vote en assemblée générale, une décision puisse être prise.

Si les propriétaires ne sont pas d’accord sur les priorités de rénovation ou qu’ils ne savent pas clairement par où commencer, ce qui est plutôt courant, il est conseillé de commencer par demander une étude préalable pour poser le programme de travaux, qui permettra de consulter un maître d’œuvre.

Eneos peut-elle aujourd’hui aider les copropriétaires sur la partie en amont, d’introduction du sujet au sein de sa copropriété ou il existe des organismes qui peuvent le faire ?

Aujourd’hui Eneos peut avoir différentes postures. Oui, nous pouvons accompagner la copropriété avec des compétences de facilitation pour fédérer une dynamique entre les propriétaires, et d’aider le groupe à cheminer vers la décision de faire ou de ne pas faire.

On peut également avoir une posture plus technique en tant qu’ingénieurs et architectes pour réaliser des audits de bâtiment, des études de faisabilité ou encore des études de maîtrise d’œuvre et du suivi de travaux.

“Eneos a pour vocation de co-construire avec ses clients et partenaires la rénovation de leur lieu de vie, en répondant aux enjeux climatiques d’aujourd’hui et de demain”.

Est ce qu’isoler un bâtiment peut faire perdre de la surface sur ma partie privative ?

Isoler par l’intérieur est vraiment un dernier recours. Cette technique présente beaucoup d’inconvénients, et cela fait perdre de la surface habitable, oui. Il faut aussi refaire l’intérieur de l’appartement en second œuvre.

On privilégie donc majoritairement l’isolation par l’extérieur quand on peut le faire. Cette technique ne cause pas de gêne, de casse et de second œuvre dans l’appartement. Elle permet aussi de réaliser les travaux en site occupé.

Combien de temps faut-il compter, du lancement de la démarche jusqu’à la livraison du projet de rénovation ?

Évidemment on parle de moyenne, mais il faut compter environ 4 ans.

C’est difficile pour les propriétaires d’être oppressé entre l’insistance alarmante des médias et le rythme de la vie, mais on ne rénove pas son habitat comme on commande un produit sur Amazon. Il faut du temps.

Déjà, en copropriété les AG (assemblées générales) ne se tiennent qu’une fois par an. Cela allonge donc la durée de la prise de décision. Bien sûr, on peut faire des AG spéciales, mais quand les copropriétaires sont répartis dans toute l’Europe c’est assez difficile de les faire se déplacer. On est donc rythmés par les AG annuelles.

Une fois le process déroulé, que les travaux ont été votés et les entreprises choisies, il faut appeler les fonds. Il arrive que ces appels des fonds s’étale sur 1 an. La plupart des propriétaires ont besoin de temps pour réunir la somme nécessaire pour les travaux.

Et enfin, en montagne, on ne peut pas faire des travaux sur les bâtiments toute l’année. La fenêtre praticable débute au mois de mai et court jusqu’à octobre. Quand les travaux sont très importants il est possible qu’ils s’étendent sur deux, voire trois années successives.

Est ce qu’il y a des pièges à éviter quand on se lance dans la rénovation énergétique ?

Oui, aller trop vite.

Malgré l’urgence d’effectuer une transition, il faut prendre le temps. Une copropriété se manœuvre collectivement et de fait, assez lentement. Il faut construire un projet commun, et pour aller chercher la majorité d’adhésion au projet de rénovation, il faut laisser le temps à chacun de se positionner.

Merci Luc ! Que peut-on souhaiter pour Eneos ?

Des beaux projets, avec des clients qui vont percevoir l’intérêt que nous avons à les accompagner, de co-construire avec eux. Nous tenons à cette notion de co-responsabilité du projet et avons à cœur de faire émerger les projets de cette façon.